Premier vol de l'Airbus A380 |
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De l’attente à la récompense : Un premier vol réussi
Du retard dans le lancement des essais en vol
Lorsque l’Airbus A380 a été présenté officiellement au public, le 18 janvier 2005, la date de premier vol annoncée était la fin du premier trimestre 2005. Effectivement, cette date fut repoussée jusqu’à la fin avril 2005, ce qui correspond certainement à une prise de retard dans le programme. Peu d’informations ont filtré sur ce retard et les bruits recueillis à ce sujet n’étant pas vérifiables, nous préférons ne pas nous appesantir sur ce délai d’un mois supplémentaire. Tout au plus pouvons-nous imaginer que ce retard fut pris pendant la phase d’essais statiques de l’avion.
Cette phase d’essais correspond à la vérification de tous les systèmes : circuits hydrauliques, circuits électriques, systèmes de trains et enfin commandes de vol. Ensuite l’avion effectue les essais de pression cabine. De l’air est injecté dans la cabine de sorte à obtenir une pression de 33 % supérieure à la pression normale autorisée. Des capteurs mesurent alors toutes les contraintes à laquelle la cellule est soumise en pressurisation et ces essais permettent de valider la cabine pressurisée. Vient ensuite la vérification et la validation du circuit carburant avec dans l’ordre le fonctionnement du système, l’étalonnage des jauges et les vérifications d’étanchéité. Dans le même temps, tous les équipements de communication et de radio-navigation sont testés au sol. Tous les systèmes font enfin l’objet d’une seconde vérification pour le premier vol.
Mais il est clair que dès la fin mars, ce premier vol était très attendu par un grand nombre de professionnels et de passionnés. Le peu de communications et de justifications au sujet de ce retard firent de cet événement le centre d’impatiences et de discussions enflammées dans de nombreux forums de discussion sur Internet. Mais suivant le proverbe français, « plus c’est long, plus c’est bon », nous attendions un grand et bel événement au bout du chemin. Les informations ont commencé à être plus précises et nombreuses dès le passage de l’avion au centre d’essais en vol d’Airbus à Toulouse, le 7 avril.
Le tour de la question en vingt jours
Dès l’arrivée du MSN001 aux essais en vols, le gros avion est visible pour tous et commence à intéresser les média généralistes et les passionnés de tout ordre. Les photos et films commencent à inonder le web et des flashes télévisés font monter progressivement la pression. Le 8 avril, les images des essais APU et moteurs sont montrées à la télévision. Ce premier démarrage des moteurs est très impressionnant et produit un énorme nuage de fumée. En effet, à leur premier démarrage, les moteurs sont « dégazés », c'est-à-dire que l’huile qui se trouvait dans le système d’alimentation carburant des moteurs est injectée dans les moteurs et brûlée. Les points fixes sont effectués à pleine puissance dans une zone protégée par des merlons pour éviter de souffler accidentellements personnels et matériels sur les parkings. Pendant ce temps Airbus se borne à dire que les essais se déroulent comme prévu, que l’avion en est à ses phases de roulage, puis d’accélérations et freinages comme c’est prévu dans chaque programme d’essais. Dans le même temps l’équipage du premier vol est présenté.
Choix de l’équipage
Pendant la durée des essais au sol sur le premier A380, les Essais en Vol ont testé les équipements A380 installés dans un simulateur de développement, et reliés à « l’iron bird », un banc d’essai qui simule tous les systèmes et commandes de vol et permet de vérifier la réactivité de toutes les gouvernes de l’avion (volets, becs, trains, par exemple). Les pilotes d’essai et les ingénieurs navigants d’essai ont mené une « campagne de simulation des premiers vols » avec les ordinateurs et systèmes de bord A380 « réels ». Avant de prendre en charge l’A380 pour la première fois, ils auront effectué leur premier profil de vol dans le simulateur pour se familiariser avec le comportement prévu de l’avion.
L’équipage choisi pour le premier vol ne l’a pas été au hasard. C’est la crème des équipages d’essai d’Airbus Industries et le CV de chacun est particulièrement éloquent. Voyez plutôt…
Commandant de bord au décollage (et copilote à l’atterrissage): Claude Lelaie, vice-président de la direction des vols d’Airbus. Né en 1946, polytechnicien puis école nationale supérieure d’aéronautique (ENSA). Ingénieur navigant d’essais au CEV d’Istres en 1970 puis directeur du département avions de ce même organisme. Pilote d’essais responsable du développement du Microjet chez Microturbo en 1983. Responsable du développement du TBM 700 chez SOCATA qu’il rejoint en 1988. Pilote d’essais suite à une formation à Empire Test Pilot School de Boscombe Down, il entre chez Airbus où il prend son poste actuel et est chargé de la certification des avions. Premier vol de l’A319 et de l’A340-600, il affiche plus de 14000 heures de vol au compteur dont plus de la moitié en vols d’essais.
Copilote (et commandant de bord à l’atterrissage) : Jacques Rosay, chef pilote d’essais, vice-président. Né en 1949. Ingénieur écolde de l’air pilote de chasse puis formation de pilote d’essais à l’EPNER. Passe au CEV d’Istres en 1982 avec le poste de chef pilote d’essais. Pilote de projet Mirage 2000 et Rafale A. A partir de 1989 il intègre les Joint Aviation Authorities et participe à la certification des Airbus A320, A321, A330 et A340. Il mène parallèlement à cela une carrière de pilote de ligne à temps partiel chez Air France. Il est recruté en 1995 par Airbus comme pilote de projet pour l’A380. Premier vol de l’A318, et de l’A340-500. 10000 heures de vol dont 6000 d’essais.
Premier ingénieur navigant : Fernando Alonso. Né en 1956. Diplômé de l’Université de Madrid entre chez McDonnel-Douglas comme ingénieur performances aux essais en vol. Il rejoint Airbus en 1982 et intègre le même poste que chez MDD. Il participe aux programmes A310, A300-600 et A320. Diplômé de l’EPNER en 1990 devient ingénieur navigant d’essais pour l’A330, l’A340 et l’A321. Devient vice-président de la division des essais en vol en 2002. Premiers vols de l’A340-200, l’A319, l’A318. Plus de 3000 heures d’essais en vol.
Ingénieur navigant : Jacky Joye. Né en 1945. Diplômé de l’ENSA et Master de sciences de l’université de Berkeley (USA). Commence sa carrière à la SNECMA et fait le stage EPNER en 1976. Il rejoint Airbus en 1983 et travaille sur tous les programmes Airbus comme spécialiste moteurs. Premier vol de l’A330 et de l’A340-600. 5000 heures de vol.
Ingénieur navigant : Gérard Desbois, né en 1958. Licence de pilote professionnel et mécano nav en 1982. Il intègre l’Aerospatiale comme stagiaire mécanicien navigant d’essais aux essais en vol. Il suit le stage EPNER en 1987 et ressort le plus jeune mécanicien navigant d’essais de l’histoire de l’EPNER. Il va à la SOGERMA où il participe aux essais en vol. Il rejoint Airbus en 1991 et passe rapidement aux essais en vol. Il participe aux essais de l’A321 et l’A340. Premiers vols de l’A319 et de l’A340-600. 5500 heures de vol dont plus de 4500 d’essais en vol.
Ingénieur navigant : Manfred Birnfeld, né en 1954. Ingénieur diplômé de l’université d’Aix-la-Chapelle, il rejoint VFW-Fokker comme ingénieur chargé de calculs de performances moteur. Détaché à Aerospatiale en 1982, il travaille sur le programme A310. Il reste à Toulouse de 1983 à 1990 et participe ensuite au programme A320, comme ingénieur support dans les essais en vol de l’avion puis assistant de l’ingénieur navigant d’essais pour le développement et la certification des réacteurs de l’avion. Il passe à l’EPNER en 1991 et rejoint les essais en vol d’Airbus comme ingénieur navigant d’essais. Il fait les premiers vols de l’A321, l’A319 et l’A318. Il a plus de 2900 heures d’essais en vol.
Au total, l’équipage cumule donc le nombre impressionnant de 28000 heures de vol d’essais en vol !
La préparation du premier vol dure plusieurs mois et se termine par vingt jours d’essais au sol, de roulages, accélérations, freinages et de longues heures au simulateur. C’est l’équipage qui décide du moment opportun pour réaliser le premier vol, uniquement à partir du moment où il se considère fin prêt pour le décollage. La date est choisie le dernier week-end d’avril, elle est communiquée par Airbus le lundi 25 avril. Si la météo est convenable pour un premier vol, l’Airbus A380 MSN001 décollera de Toulouse-Blagnac le mercredi 27 avril 2005, vers 10h00.
Un avion différent de celui utilisé pour les vols commerciaux
Peu de journalistes ont vraiment mis l’accent sur le caractère très original d’un prototype d’avion commercial. Contrairement au futur avion de série, le prototype est vide, ou plutôt bourré de capteurs, d’appareils de mesure et de transmissions des données. Le matériel d’essais s’élève à 20 tonnes. La masse de l’avion est ajustable au moyen d’un grand nombre de bombonnes qui peuvent être remplies d’eau. On peut modifier les masses presque à volonté et changer les répartitions de charges et le centrage de l’avion. Pour le premier vol l’avion pèse 421 tonnes au décollage alors que le futur avion de série fera 600 tonnes.
Déroulement du premier vol
Le premier vol est tout sauf de l’improvisation, même si l’avion n’a jamais volé. Les heures de simulation ont permis à l’équipage de se retrouver virtuellement dans des conditions très proches de ce qu’il va rencontrer. Les essais d’accélération et freinage permettent aux pilotes de connaître assez bien le comportement de l’avion au sol. Les pilotes sont dotés pour ce premier vol, et pour un certain nombre d’autres du programme d’essais en vol, de casques et de parachutes. Une trappe d’évacuation rapide de l’équipage, délimitée en rouge, est même présente sur ces prototypes (côté droit du fuselage, à la hauteur de l’emplanture d’aile et à mi-chemin entre les deux portes d’accès à la cabine).
Extérieurement rien ne pourrait distinguer ce premier vol d’un vol normal, si ce n’est l’émotion qui l’accompagne. Entrée de l’équipage, check-lists usuelles, démarrage des moteurs, nouvelle check-list, roulage et alignement sur la piste 32L de Blagnac. Après la mise des gaz l’appareil s’ébranle, prend rapidement de la vitesse et commence sa rotation une trentaine de secondes plus tard. Trente-cinq secondes après le départ, l’avion décolle. L’Airbus A380 vole. Des dizaines de milliers de passionnés massés le long des pistes en sont témoins. Des millions de téléspectateurs peuvent le vivre en direct.
Le gros oiseau blanc est escorté d’un avion d’escorte, une Corvette qui permet de faire des prises de vues du premier vol et de garder un contact visuel sur l’ensemble de l’avion. Si toutes les données du vol sont transmises en temps réel au centre de contrôle au sol à Toulouse via des liaisons satellites, rien ne remplace l’œil humain pour divers points de détail ou de sécurité. Ainsi durant ce premier vol, à la rentrée du train d’atterrissage, les pilotes lisaient au tableau de bord des témoins indiquant que des trappes de trains étaient restées ouvertes. C’est visuellement que l’équipage de la Corvette vérifia qu’elles étaient bien fermées. Ce fut du reste le seul incident mineur de ce vol que l’ont peut aisément résumer par un vol sans histoires pour le premier vol d’un tel prototype.
Après 3h54 de vol et un survol des contreforts de la chaîne des Pyrénées puis un passage bas avec remise des gaz et survol de Toulouse pour remercier le public et les Toulousains, l’A380 est posé assez court sans utilisation des deux reverses des moteurs intérieurs. La qualité de cet atterrissage est probablement aussi le résultat des nombreux essais au sol préalables.
L’équipage est accueilli et fêté comme il se doit par tous les employés et la direction d’Airbus Industries comme par les VIP présents.
Après l’arrêt des vols de Concorde, l’Europe et particulièrement la France est avec l’A380 de nouveau lancée dans une aventure aéronautique émouvante et innovante. Hervé BRUN À suivre
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